notes·de·pit

Parfois j'apprends à pêcher à des gens qui n'aiment pas le poisson

C'est trop facile

IA - copie réaliste des gens qui glissent dans le vaisseau de Wall-E

Je suis fraichement engagé pour faire du support chez ACME, une société qui fabrique de la dynamite pour Vil Coyote afin qu’il puisse un jour attraper Bip Bip (ref. inside). Comme je suis nouveau dans la boite, je réponds aux tickets simples et lorsque c’est plus compliqué, je peux demander à ma cheffe. Pour m’aider dans ma tâche, nous avons une FAQ interne contenant les problèmes les plus fréquents.

L’autre jour, je me retrouve confronté à un ticket un peu plus compliqué et je me lève en direction du bureau de ma cheffe.

Ma cheffe — on dit n+1 maintenant — a mis ce texte sur sa porte :

Avant de me déranger, as-tu cherché ?
As-tu consulté la FAQ interne ?

J’hésite.
Je frappe et j’attends.
J’entre. C’est plus facile que de chercher.

Je me suis fait un peu allumer. La réponse était facilement trouvable dans la FAQ. Verdict : un joli RTFM !

Rappel : la Netiquette nous propose que faire avant de poser une question


Je suis étudiant en informatique et pour mon projet, mon groupe et moi avons — bien sûr — utilisé l’IAG 1. C’est intégré dans nos outils et c’est plus facile. Beaucoup plus facile. Je suis en deuxième année et lors de la défense de mon projet, mon prof me montre ces quelques lignes de code :

IntStream.range(0, files.size()).forEach(i -> {
    File file = files.get(i);
    executor.submit(() -> {
        processFunction.accept(file); // appel au service OCR ici
    });
});

— Qu’est-ce que tu penses de ce code ? me dit-il en ajoutant immédiatement spoiler alert, c’est pourri.

Je tente de lui expliquer ce que fait ce code en traduisant tant bien que mal les mots.

— J’ai bien compris le code me dit-il alors, je demande si on ne pourrait pas écrire ça plus simplement et de manière plus lisible.
— …
— Tu parcours bien une liste de File ? Écris moi un simple for each sans l’aide de l’IAG.

Silence.
J’échoue.

Je me suis fait un peu allumer car je n’ai pas réussi à écrire cette instruction que le prof a finalement écrite

for (var file : files) {
    executor.submit(() -> processFunction.accept(file));
}

Il m’a pèté le batard.


J’ai 15 ans et je voudrais boire quelques bières à l’étranger. Je demande à l’IA de changer le 2010 en 2005 sur cette image (je ne lui dit pas que c’est ma carte d’identité. Malin ! Hein ?).

C’est passé mais c’est mon père qui m’a allumé. Faux et usage de faux me dit-il. J’ai pas voulu comprendre, c’était facile à faire.


Fin des histoires.

— Si c’est plus facile, c’est bien non ? On n’est plus au moyen-âge, on a des voitures et plus des chariotes.
— Exact, on peut se faciliter la tâche mais pas n’importe comment.

Si tout devient trop facile, comme nous sommes, par essence, fainéant, on va glisser vite fait du progrès à la paresse.

— Ouais ouais, le sens de l’effort. Toussa. Boomer !

Je ne rejette pas l’outil. Je l’utilise. J’essaie de l’utiliser avec parcimonie et c’est difficile. Je sais que c’est écologiquement une catastrophe.

L’IA vous répond, mais à quel prix pour la planète ?

Je ne rejette pas l’outil mais je repense à Wall-E. Tu te rappelles tous les gros — on dit personnes en surpoids — qui glissent de leur fauteuils sans savoir se rattraper quand le vaisseau tangue ? Tu l’as ? Ils manquent (un peu) d’exercice et sont devenus fainéants et consommateurs. C’est pareil avec la trottinette électrique. C’est à la mode et c’est un piège. C’est génial si elle permet de faire une plus longue distance sans prendre la voiture. Mais c’est dommage si elle nous encourage à marcher moins. Je sais, c’est plus facile. Utiliser une trottinette ou un autre truc électrique, OK mais que pour faire une distance plus longue que celle que tu peux faire à pieds.

L’IA peut être comme ta trottinette : tu peux aller plus vite sans effort ou plus loin. Tu peux choisir. Si tu les utilises pour éviter tout effort, tu risques de perdre l’habitude de marcher ou de réfléchir. La trottinette c’est bien pour de longues distances, mais si tu l’utilises pour aller au coin de la rue, tu oublies ce que c’est marcher. L’IA, c’est pareil : elle est précieuse pour accélérer ou automatiser des tâches complexes, mais si tu lui délègues tout, tu risques de ne plus savoir résoudre les problèmes simples.

— Ouais, on a dit la même chose avec Internet et les encyclopédies.

Avant de dégainer l’outil le plus puissant, est-ce qu’on maîtrise les bases ? Savoir utiliser un marteau avant de sortir la cloueuse, comprendre le for each avant de demander à l’IA de tout coder. Les outils simples nous apprennent à réfléchir, à comprendre ce qu’on fait. Les outils complexes, eux, peuvent nous faire gagner du temps, mais à condition de ne pas oublier le chemin.

Nous ne devons pas nous priver — même si c’est plus facile — de l’effort, de la réflexion, de la satisfaction d’avoir compris sinon on devient spectateur, on consomme sans apprendre.

— Plus facile c’est bien. Trop facile, c’est mal. J’ai bon ?

Exact, se faciliter la tâche, c’est bien : ça aide, ça accompagne, ça ouvre des portes. Trop facile, c’est dangereux (le mot est fort ; dommage, risqué sont bien aussi) : ça ferme la curiosité, ça atrophie la compétence, ça bride ton envie d’apprendre, ça décourage la recherche, ça empêche de progresser.

La vraie subtilité, c’est de savoir où placer le curseur. Utiliser l’outil, oui, mais sans oublier d’apprendre, de chercher, de comprendre. Parce qu’au final, ce qui compte, ce n’est pas juste d’aller vite, c’est de savoir pourquoi on avance.


Crédit image, Copilot : les gens qui glissent dans le vaisseau Axiom de Wall-E parce que pendant 1000 ans c’était plus facile de ne rien faire.


  1. L’intelligence artificielle générative aka ChatGPT et consors.