La libre publiait ce vendredi 10 avril 2020 une opinion de Thomas Ravanelli intitulée : Confinement et études supérieures : si le professeur ne nous a rien appris, il n’y a rien à évaluer.

Le titre est probablement choisi par La libre pour attirer le chaland mais il se trouve cependant dans le texte et, avant la lecture de l'article, ce titre me bloque.

– Le professeur ne nous a rien appris.

Mon métier — je suis enseignant et c'est pourquoi l'article me fait réagir — n'est pas d'apprendre mais d'essayer de mettre en situation d'apprentissage. D'ailleurs, n'appelle-t-on pas l'étudiant ou l'étudiante, l'apprenant ou l'apprenante. Preuve, s'il en est, que c'est bien cette personne qui apprend.

Quand je lis cette phrase, je perçois un grand manque d'autonomie ou une formulation malheureuse. La personne qui attend que le prof1 lui apprenne est dans une position d'attente comme une oie que l'on gave. L'apprentissage est différent du binge-watching où la personne est totalement passive et simple réceptrice d'images, de sons, de transparents de cours, d'enregistrements vidéo de séances, etc. Pour moi, apprendre est un processus actif : je lis, je cherche, je demande, je trouve, je note, je résume, je reformule, je compulse, j'écoute, j'essaie, je me trompe, je recommence, je dessine, etc. Je suis conscient que nos étudiants et étudiantes de première année ne sont, pour la plupart, pas ou peu prêtes2 à cette demande d'autonomie et nous faisons au mieux pour les y préparer. Étape par étape et certains et certaines enseignantes2 du primaire – dans des écoles à pédagogie dite alternative malheureusement trop rares — et du secondaire préparent les enfants à être acteurs et actrices de leurs apprentissages et non spectatrices. Un acteur est actif, un spectateur passif.

Ensuite, est arrivée la « grande hibernation » suite au COVID-19 2020.

Les haute-écoles et universités ne sont pas « passées à un enseignement à distance » absolu où tous les cours sont remplacés par du elearning ou des MOOC préparés de longue date par des personnes formées à l'enseignement à distance. Non, les haute-écoles et les universités essaient de proposer une alternative temporaire à l'enseignement en présentiel. Elles essaient — c'est du moins l'intention que je leur prête et je ne suis pas le seul — de ne pas laisser tomber leurs étudiants et étudiantes et de leur permettre de réussir des crédits afin de ne pas hypothéquer leurs études ni dévaloriser leur diplôme.

— J'ai été diplômé en 2020.
— Ah oui, nous vous recontacterons.

La consigne reçue étant que « dans la mesure du possible, les modules de cours sont organisés à distance. Ainsi, les activités d’apprentissage à distance remplacent les activités d’apprentissage en présentiel qui sont suspendues. », la majorité des enseignants a réfléchi à la meilleure manière de faire, avec plus ou moins de réussite en fonction des cours, des établissements et des sensibilités de chaque personne. Nous sommes évidemment conscients que le quotidien des étudiants et le nôtre a changé et qu'être « en confinement » ne signifie pas disposer de davantage de temps à consacrer à l'école. C'est peut-être se trouver dans un environnement moins adapté à la ville ou à la campagne, trouver et partager des solutions informatiques, accéder différemment à la documentation, s'occuper d'enfants, s'inquiéter et soutenir les personnes fragiles ou non de son entourage, etc.

Alors j'essaie de mettre mes étudiants et étudiantes en situation d'apprentissage de manière un peu différente mais peut-être pas tant que ça. Les lectures proposées — syllabus, transparents, liens, etc. — restent identiques, les réponses aux questions via forum refont surface — et c'est un excellent apprentissage de formulation de questions que l'on avait un peu perdu —, les réponses individuelles et les exposés oraux ont changé et c'est à la fois difficile et excitant.

Quand l'aide écrite — via forum ou chat — ne suffit pas une visioconférence à deux avec partage d'écran de l'étudiant résout souvent le problème. C'est une aide individuelle appréciable.

L'exposé oral donné en visioconférence est évidemment l'exercice le plus difficile. Je rabâche mes étudiants et étudiantes pour qu'iels me montrent sur le visage s'iels m'entendent, me comprennent ou pas, ont besoin d'une explication supplémentaire ou que j'aille plus vite ou plus lentement… et bien sûr la petite led de ma webcam ne me donne pas cette information très utile. J'essaie de m'y faire. En échange il est possible de visionner l'enregistrement à la vitesse que l'on veut et le revoir autant de fois que nécessaire… quand on veut. Un prêté pour un rendu. C'est temporaire.

Bien sûr, dans la vraie vie, dans tous les groupes partout et en tout temps, les individus étant différents, certains préfèreront les cours en présentiel alors que d'autres se satisferont des cours à distance. À mon avis il faudra envisager un meilleur mélange à la sortie du confinement.

Bien sûr, dans la vraie vie, dans tous les groupes partout et en tout temps, les individus étant différents, il y a toujours les profs1 qui font le boulot et qui s'adaptent — avec plus ou moins de réussite — et les autres qui ne le font pas, arguant qu'ils ou elles n'ont pas les compétences, la formation… ou simplement l'envie. Ces seconds sont sans doute moins autonomes que les premiers et nous ne sommes jamais « logés à la même enseigne » parce que nous sommes différents et que nos vécus et nos réalités sont différentes2. C'est peut-être réagir à la #notAllProfs que de rappeler nos différences mais je ne peux pas m'en empêcher en lisant « […] les professeurs ayant disparus de la circulation. » là où j'aurais préféré lire « des professeurs ». Un choix de déterminant que fait la différence.

Portez-vous bien pour utiliser la formule de politesse à la mode.


Crédit photo chez Unsplash par Nigel Cohen.


  1. J'utilise sciemment l’abréviation pour ne pas devoir écrire le professeur ou la professeure. 

  2. Accord de proximité.