Réflexions, craintes et questionnements face à la mise en place difficile du décret paysage après quelques années d’usage. Si un ministre passe par ici, qu'il n'hésite pas à répondre aux questions.

Chaque année, nous consacrons quelques jours rassemblant tous les collègues de l'école afin de réfléchir à nos pratiques pédagogiques. Cette année, trois ans après la mise en place du décret paysage, nous constatons que ces journées de réflexion sont en majeure partie consacrée à la mise en place correcte dudit décret.

Nous avons parfois l'impression de nous perdre dans l'adaptation des grilles de cours pour qu'elles s’adaptent aux exigences du décret et à l'esprit du décret, qu'elles permettent la mise en place d’horaires compatibles avec les divers parcours personnalisés, qu'elles offrent une cohérence pédagogique, qu'elles pénalisent le moins possible les étudiants dans leur finançabilité et qu'elles permettent la diversité des parcours personnalisés tout en assurant leur sens et leur praticabilité.

Des cours aux unités d’enseignements

Nous avons réfléchi longuement en son temps pour proposer des grilles de cours qui permettent d’offrir une formation à la fois large et pointue. Une formation qui donne aux étudiants sortants le bagage que nous estimons nécessaire pour qu'ils soient performants d’une part et puissent s’épanouir en tant qu'informaticien d’autre part.

Lors de la sortie du décret paysage nous nous sommes réunis pour repenser ces grilles de cours. Il fallait

  • quadrimestrialiser les cours pour qu'un module se donne en 12 semaines;
  • rassembler éventuellement des cours pour qu'ils deviennent des unités d’enseignement parce qu'ils forment déjà un ensemble pédagogique et poursuivent des objectifs communs;
  • s’arranger pour que les unités d’enseignements soient des multiples de 5 ECTS1 voire 6 mais, pour sûr, pas moins.

Ce fut facile pour certains cours.

Les cours d’analyse, d’algorithmique, de langage de programmation ont rapidement pu être rassemblés pour proposer des unités d’enseignement de développements. Nous proposons DEV1, DEV2, DEV3… se donnant à chaque quadrimestre. C’est cohérent.

Pour les cours plus généraux la mise en commun des mathématiques et de l'anglais — devenu pour la bonne cause cours de communication anglophone de l'informaticien — partait d’une bonne intention mais a posé pas mal de soucis notamment en terme d’évaluation.

Que faire d’un étudiant ayant de bons résultats en mathématiques et de très mauvais en anglais ?

Certaines unités d’enseignements (UEs) sont devenues complètement intégrées alors que d’autres non. Les UEs complètement intégrées tentent de distinguer le moins possible les différentes matières qui la constituent tandis que les autres unités d’enseignements sont clairement constituées d’activités d’apprentissage « différentes ». Les unités d’enseignements artificielles ne pouvaient pas être intégrées. Il faut bien sûr distinguer les mathématiques de l'anglais par exemple.

Nous avons donc deux types d’unités d’enseignements différentes; les unités intégrées et les autres.

Après ces trois ans de mise en œuvre, nous avons, d’une part, renforcé l'intégration des UEs intégrées et, d’autres part, (re)scindé les UEs artificielles.

Est-ce la bonne manière de faire ?

De l'évaluation aux différents reports

Lors de l'évaluation des UEs, il est facile de dire qu'une UE complètement intégrée ne donne qu'une seule note et cette note ne provient que d’une seule épreuve (même si l'épreuve a lieu en plusieurs fois). Dès lors que l'UE est ratée, ce sont toutes les activités d’apprentissages (AAs) qui la constituent qu'il faut représenter. Si elle est réussie… elle est réussie. L'avantage — du point de vue de l'étudiant — est qu'il est possible de réussir une UE avec un 0 dans une AA. L'inconvénient c'est que dès que l'UE n'est pas réussie ce sont toutes les AAs qu'il faut représenter… même si l'étudiant est très bon dans l'une d'entre elle.

Pour une UE non intégrée, il est possible de réussir une AA et pas l'autre. Dans ce cas, certaines AAs constituant l’UE sont acquises et d’autres non. Peut-on reporter ces notes ? Le décret précise que oui.

Certains étudiants se retrouvent dans une situation telle que plusieurs UEs sont ratées et pour chacune de ces UEs ratées, une seule AA est ratée tandis que les autres sont réussies. Le report de plusieurs AAs donne un horaire très léger à ces étudiants. Et nous savons pertinemment bien qu'un horaire léger favorise le décrochage.

De plus ce système impose la mise en place d’un archivage des notes d’AAs qui ne sont — à priori — pas encodées puisque non pertinentes lors de la délibération.

Actuellement, les logiciels d’encodage des cotes ne sont pas prêts à recevoir les cotes des AAs. Seules les cotes d’UEs sont encodées.

Avec notre approche des UEs d’enseignements coordonnées et données à plusieurs enseignants. Il n’est pas rare que le coordinateur de cours doive rassembler les cotes d’une dizaine de professeurs différents, les conserver et les valoriser d’une année à l'autre. Outre la surcharge administrative, c’est une source d’erreur supplémentaire. Déjà lorsque le coordinateur reste en place et c’est donc pire lorsqu'il change.

Faut-il aller vers une intégration complète de toutes les UEs — en scindant celles qui ne s’intègre pas — afin de ne pas devoir gérer le problème des reports d’AAs ?

Des prérequis aux corequis en passant par les postrequis et les jamaisrequis

Pour offrir la meilleure cohérence pédagogique possible et mettre en place un maximum de références transversales nous serions poussés à imposer de nombreux prérequis ou corequis. Nous trouvons que cela va à l'encontre de l'esprit du décret en limitant drastiquement les parcours possibles.

Pour laisser l'étudiant prendre en main son apprentissage et en être responsable — mais est-il préparé à cette autonomie — nous préférons ne pas imposer de prérequis ou de postrequis et faire confiance à son bon sens. En effet quel est l'intérêt de s’inscrire à une unité d’enseignement UE2 qui fait clairement apparaitre qu'elle est la suite de l'unité d’enseignement UE1 ? Ceci sans que UE1 ne soit prérequis de UE2.

Nous voulons à la fois faire confiance aux étudiants et maintenir un bon contact avec l'entreprise qui accueille nos étudiants en stage.

C’est pourquoi, il nous semble important de limiter l'accès aux épreuves de fin de cycle (TFE, stages…) aux étudiants ayant déjà acquis une majorité des UEs de la formation. Ce dernier critère est difficile à mettre en œuvre sans contraindre une partie non négligeable des étudiants à ne pouvoir inscrire qu'un très faible nombre d'ects à leurs parcours.

Avez-vous des lignes de conduite pour choisir efficacement quelles UEs sont les prérequis / corequis de quelles autres ? 

Les horaires de cours

Les programmes de l'étudiant deviennent personnalisés, les enseignants changent parfois d’attribution ou de charge, le nombre d’étudiants par filière évolue… Tout ça nous amène à repenser les horaires et la manière de les concevoir.

La question de réorganiser2 des modules du premier quadrimestre au second quadrimestre se pose et nous le faisons pour la première unité d’enseignement de développement par exemple. Ces cours supplémentaires doivent être donnés par des enseignants dont les attributions vont changer et cette réorganisation aura, in fine, un impact sur la taille des groupes et donc sur l'encadrement des étudiants. Ces réorganisations éventuelles d’UEs influencent le parcours proposé et le décret paysage ne peut pas occulter le fait qu'une formation s’étale sur plusieurs années et que certains modules doivent venir avant d’autres.

Des étudiants au parcours individuel différent que le parcours proposé ne peuvent pas participer à toutes les UEs de leur programme. Et certaines d’entre elles ont une évaluation continue. Une évaluation continue implique que la note de l'activité est construite au fil des semaines. Une étudiant absent ne peut pas construire cette note. La CAVP ne trouvant parfois pas un parcours mieux adapté, l'étudiant sait, avant de commencer, qu'il va rater l'UE en question.

Comment faire des horaires de cours qui permettent à la fois aux étudiants et aux enseignants de s’épanouir ou simplement de survivre ?

Les jurys et la délibération souveraine.

Les délibérations ont changés.

Pour être juste avec les étudiants, à défaut d’être humain ce qui est plus subjectif, nous nous étions fixés des règles de « cadeaux automatiques ». Dès lors qu'un étudiant a quinze cours, et une moyenne supérieure à douze, il peut bénéficier automatiquement de 3 points de balance. Un 7, un 8 et un 9 ou trois 9.

Faut-il continuer à faire des cadeaux et valider des crédits qui ne sont pas acquis ou s’en tenir à la règle stricte du seuil à 10/20 sans se poser de question ? Comme un algorithme.

À l'heure des unités d’enseignements, des activités d’apprentissage sont évaluées séparément pour former une cote d’UE. Les enseignants d’une UE peuvent se concerter et décider de modifier leur cotes afin qu'elle atteigne le seuil.

C’est compréhensible pour un 49,5/50, un 49… un 48… à la discrétion de l'équipe d’enseignants en charge des AAs constitutives de cette UE. Léger, certes, mais c’est un premier cadeau.

Lors de la délibération, le jury — souverain comme aime à le rappeler le décret — peut décider d’accorder des crédits non acquis. Sous quelles conditions ? Le jury a une vue du parcours annuel de l'étudiant. Est-ce suffisant ?

Faut-il ouvrir les UEs — non intégrées — et voir les cotes des AAs qui les constitues lors de la délibération ?

Voici les quelques réflexions issues des quelques jours de mise au vert annuelle. Nous essayons chaque jour que notre enseignement soit un « enseignement paysage » où tout le monde s’y retrouve; étudiants, enseignants, administratifs, parents, partenaires en entreprise… et c’est une gageure.


Crédit photo par Jérémy Bishop chez Unsplash. Un phare dans les nuages… peut-être nous guidera-t-il ?


  1. Beaucoup s’étonnent aujourd’hui de cette contrainte précisant qu'elle n’apparait nulle part. C’est exact aujourd’hui. Hier par contre, l'interprétation du décret était telle que nous pensions que tel était l'exigence. (Source à l'ulb et dans cette même ULB à la faculté de médecine

  2. Réorganiser a ici le sens de: « organiser à nouveau » c’est-à-dire de donner — de manière différente peut-être — une seconde fois dans l'année la même UE pour les étudiants qui l’aurait ratée.