Je dormais à poings fermés
Je dormais à poings fermés.
Ce matin là, je n'ai rien entendu. Je n'ai rien vu. Je n'ai même rien su tout de suite.
Nous avions roulé toute la nuit pour rentrer de vacances et Morphée nous a préservé du bruit. C'est mon ex-femme qui m'a tiré du lit.
— Vous allez bien ? Les enfants vont bien ?
— Heu oui, pourquoi ?
Je dormais à poings fermés.
De l'accident, je n'ai eu que des échos d'amis qui habitent plus près et qui ont vu la fumée, entendu le bruit, reçu des « morceaux » dans leur jardin. Cette journée là, je ne la connais que par ce que l'on m'a raconté. Mes proches m'ont racontés. Chacun avec son ressenti, chacun avec ses mots. Et aucun d'entre eux n'a été blessé.
C'est un peu plus plus tard que nous avons reçu le courrier de recrutement pompiers de la part du mayeur. C'est un peu plus plus tard que je me suis enfin décidé à postuler comme pompier. Même si j'étais quasi-prêt, c'est cet évènement qui a été le déclencheur.
De l'accident, j'ai eu souvent des échos de collègues qui étaient sur place. Les mots sont différents. Ce ne sont plus des images vues à la télé. On est loin des
— Je voyais de la fumée de mon jardin !
— On entendait un bruit sourd. On s'est demandé ce que c'était.
Les souvenirs, les histoires, les blessures sont racontés avec de la proximité. On n'est plus dans son jardin à regarder de loin, on est sur le terrain. Ceux qui sont là, ceux qui sont blessés, ceux qui sont morts, on les connait !
Moi, je ne les ai pas connu, je suis arrivé après.
La catastrophe de Ghislenghien, c'était il y a 10 ans aujourd'hui. 10 ans, c'est beaucoup. 10 ans c'est peu.
Au quidam, je dis que la vie doit beaucoup au hasard.
À moi, je me rappelle qu'il faut profiter du moment présent. Que c'est maintenant qu'il faut consacrer du temps à mes proches.
Demain, c'est peut-être trop tard.
Je dormais à poings fermés.
Crédit photo chez DeviantArt par Jaggedtech