Le temps des blogs était révolu.

Tout le monde avait oublié comme il était simple — mais pas assez — de louer un hébergement et d'y installer son moteur de blog. Ça ne coutait pas grand chose — mais trop — pour réserver un nom de domaine et être indépendant. Libre. Libre d'écrire un billet sur n'importe quel sujet ! En deux clics, je pouvais donner mon avis sur une recette de cuisine, présenter un livre que j'ai bien aimé, discuter politique, sensibiliser à une idée, à un logiciel, partager mes expériences, mettre en garde, plaisanter…

Pas de censure et une liberté d'expression quasi totale. Quasi car ce qui est interdit dans l'espace publique l'était tout autant sur mon blog. La discrimination est interdite par la loi et punissable. Si l'on dérapait, la justice faisait son devoir et punissait. C'était entre elle et moi. Pour le reste la personne détentrice d'un blog y écrit ce qu'elle veut. C'est chez elle. Elle n'est même pas obligée de laissé un ou une internaute passant par là déposer son commentaire. Elle peut le supprimer à vue. C'est chez elle. Elle accueille le passant ou la passante comme elle veut.

Bien sûr notre éternel besoin de reconnaissance, notre égo, nous pousse à augmenter notre lectorat. Je veux être lu. À n'importe quel prix ? Alors je me crée un compte, d'abord Twitter, puis Facebook et enfin Instagram. Je vais jusqu'à me payer des amis pour que ce que j'écris soit lu par le plus grand nombre. S'il faut réduire mon texte pour qu'il tienne en 140 caractères, je le fais. Et j'empile des tweets en oubliant mon blog. En supprimant mon blog car il est tellement simple d'écrire un tweet. Je n'écris pas, je tweete. Je ne tweete pas, je fais un (long) thread.

Je ne sais pas — ou pire, je le sais très bien — que ces plateformes sont privatrices de liberté, qu'elles ne m'appartiennent pas. Je dépose ma prose sur les serveurs d'une société privée aux états-unis alors qu'elle pourrait être sur une machine proche. Chez un hébergeur belge. D'ailleurs ma prose n'en a plus que le nom, je n'écris plus. Je ne réfléchis plus, je réagis. Je surjoue. Je m'indigne. Des jours. Un jour. Une heure.

Avant j'adaptais parfois mon discours à mon public. Gentiment. Doucement. Maintenant, je prends le pouls de ma bulle et pense comme elle. Mes amis. Plutôt mes contacts — inconnus et inconnues pour la plupart — m'influencent en 140 caractères. Non ! En quelques émojis.

Hier, Twitter m'a bloqué, ensuite Facebook et, comme par hasard aujourd'hui, Instagram. Mon compte a été supprimé. Définitivement.

Je voudrais crier quelque part « SALAUDS ». Je vaudrais leur dire qu'ils me musellent, que nous sommes en démocratie et que j'ai le droit de parler. « À MORT LA DICTATURE ! » Je ne trouve que des « on te l'avait bien dit ! ». Comme si tout le monde laissait sa porte ouverte à l'inconnu ou l'inconnue qui voudrait entrer donner son avis ou l'insulter. Oui, c'est vrai. J'avais bien lu — quelque part, en diagonale, rapidement — qu'il existe des alternatives acentralisées et fédérées comme, par exemple, Mastodon. Je pourrais décider d'en installer une instance et, avec un peu de chance, être fédéré avec les autres. Je pourrais aussi décider d'arrêter de crier et de réagir en quelques mots. Décider d'utiliser les émojis avec parcimonie et (re)commencer d'écrire des billets dépassant les 140 caractères. Dire autour de moi que les réseaux sociaux sont de mauvais moyen de communication et qu'il faut les laisser faire ce qu'ils font bien… relayer un bon vieux billet de blog que l'on pourra citer, retrouver, lire…

Je cherche désespérément sur Twitter, Facebook, Instagram… comment installer un blog mais je ne trouve rien. Pas un thread, aucune story sur le sujet.

J'échoue sur un billet de blog.

Le temps des blogs est-il revenu ?


Crédit photo par placi1. Cette fiction fait suite à l'actualité de ce mois de janvier qui voit les comptes de Donald Trump (45e président des états-unis) sur les réseaux sociaux suspendus définitivement.