Les jubilaires

Par Alessa, dimanche 10 septembre 2006 à 19:58

Je n'écris plus très régulièrement, oui, je vous l'accorde. Mais des excuses, croyez-moi, j'en ai...

Prenons hier, par exemple.
Hier fut une belle journée, si on parle du temps. Hier fut une journée maussade, si on prend en compte l'épreuve difficile que j'ai du traverser. Non pas qu'il soit arrivé quelque chose de vraiment dramatique : la santé va très bien, merci. Vous comprendrez mieux si je vous disais qu'hier était le jour des jubilaires[1] de la marraine de ma mère et du frère de mon grand-père, couple attendrissant de joyeux septagénaires (ou octagénaires, je vous avoue que je me perds un peu entre tous ces visages ridés).

Naïvement, mon frère et moi-même nous étions laissés emportés dans cette galère à coup de différents arguments : il ne s'agirait pas d'un repas interminable assis à table mais d'un long "coktail", les enfants du cousin maternel seraient là, nous ne resterions pas longtemps, etc etc. Arguments, qui, au final, se révèlèrent leurres dans leur intégralité...

Notes [1] Pour ceux qui n'auraient jamais entendu ou lu ce mot, il s'agit du nom donné à un laps de temps de cinquante ans, et en l'occurence, cinquante ans de mariage. En un mot : LA grosse teuf... Ou pas.

Plus qu'une solution : l'autosuggestion !
Me voilà devant mon miroir, cinq minutes avant le départ, en train de me répéter : "Pascale, ça ira, tout ira bien, dans quelques heures ce sera fini, il y aura sûrement d'autres jeunes... Sûrement...".

Le moteur de la voiture arrête de vibrer. Le frein à main est tiré. Mince... Je ne rêve pas... On y est.

Notre arrivée est ponctuée de deux constatations :

  • Contrairement aux assurances de nos parents (auxquels nous n'épargnons pas menaces muettes et autres regards assassins), nous devrons endurer un repas assis avec des places assignées à chacun, de même qu'un menu aux nombreux services.
  • Les seules personnes avec lesquelles nous nous entendons ne sont soit pas présentes, soit elles nous fausseront compagnie après la réception et avant le repas. Restent le club du troisième âge, nos parents (auxquels nous n'adresserons la parole que pour leur lancer des reproches à voix basse), et la partie de la famille que nous abhorrons au plus haut point (laquelle j'ai déjà eu l'occasion de vous décrire lors d'un certain billet de Noël), bref, de quoi faire de cette journée un moment douloureux...

La réception se déroule, disons, bien.
Bastien et moi faisons preuve de la plus grande politesse, nous saluons tous les membres de l'assemblée sans exceptions. En passant, je souris de la façon dont les gens se donnent les bisous, je trouve ça très étudié : on se frôle la joue en émettant le smack caractéristique avec ses lèvres, mais sans jamais toucher de celles-ci le visage de celui ou celle qu'on salue. Je trouve ça d'une mondanité assez cocasse. En même temps, vu l'abus de fond de tein que commettent certaines personnes, je suis on-ne-peut-plus heureuse de ne pas avoir à goûter leur maquillage au sens propre du terme...

Bref, nous sommes tous deux assez soulagés de ne pas entendre à dix mètres la voix hystérique de la soeur de notre génitrice, ce qui signifie, ô lueur d'espoir, qu'elle n'a pas (encore) abusé de la boisson. Lueur d'espoir plus ou moins ternie par son comportement lorsque je m'approche d'elle pour éprouver une fois de plus ma civilité...
"Aaah ! Ma petite Pascale !"
Mon sourire ressemble plutôt à une grimace, sûrement parce que je manque de pratique vis-à-vis d'elle. Premièrement, je te dépasse de trois têtes, et deuxièmement, je ne suis certainement pas tienne...
"Mais, dis-moi ! J'ai appris que tu avais très bien réussi tes examens, bravo ! Que tu dois être soulagée !!!"
Pour être honnête, je serai plutôt soulagée quand tu seras hors de ma vue et que tu arrêteras de me donner ces petits coups de poing affectueux dans les abdominaux...

Stage 1 : terminé. Boss du stage éliminé avec succès. Je peux me féliciter. Mais la joie est de courte durée...

Non, là, je rêve...
Ma place à table : face à Xavier, mon jeune cousin de 18 ans qui croit détenir tout le savoir du monde mais que je sais bien plus mythomane que savant, et à côté d'un parfait inconnu, une "pièce rapportée" (je veux dire par là le compagnon d'une membre de la famille), Nicolas de son prénom. J'échappe néanmoins à la présence à ma droite de ma cousine Stéphanie, celle qui bat tous les records en terme de maquillage et de comportements faux et méchants. En effet, après avoir lancé deux trois piques de sa voix irritante, elle trouvait une place vide vers le milieu de la table. "Je n'allais quand même pas rester en bout de table !" Grand bien lui fasse, je n'en ai que faire d'être en bout de table, ça fait une personne désagréable de moins à qui parler. Le pire dans ce placement était que mon frère avait été mis à trois chaises de moi en face, ce qui empêchait les longues conversations.

Surtout que pour ajouter au caractère délicieux de ce dîner, la salle était dotée d'une résonnance qui n'aurait pas de quoi pâlir devant celle d'une église, et les organisateurs n'avait pas trouvé meilleure idée que de placer un baffle lançant joyeusement ses notes dans la mêlée sur un air de "Con te partiro". Génial.

Un total de cinq heures sans bouger de table et à supporter les conseils de Xavier sur ma vie amoureuse. Franchement, y a des jours où je trouve que je mériterais presque une place dans le Guinness Book.

Toujours est-il qu'un détail attira mon attention pendant cette célébration allègre : une vieille dame était installée un peu plus loin à notre longue table, à côté de Bastien.

Quoi de particulier parmi toute cette population, me direz-vous. Et bien, dans l'après-midi, un des nombreux discours m'appris qu'elle était une amie du couple fêté et une veuve, et, une fois mon regard posé sur elle, je me mis à l'observer régulièrement. On l'avait placée parmi des personnes qu'elle ne connaissait pas. Son expression se partageait entre l'ennui, l'embarras et, peut-être l'ai-je simplement imaginé, la tristesse. Elle s'était maquillée un peu trop fort, avait mis un peu trop de parfum. Et je ne sais pourquoi, la voir là, ça m'a fait de la peine. Elle était sûrement l'un des membres de cette table à avoir le plus de choses à dire, ne fut-ce que grâce à son plus grand âge, et pourtant, elle était la seule à se retrouver muette.

Je manque d'inspiration et d'énergie pour vous rapporter d'autres anecdotes futiles de la journée. Mais je crois que jamais un siège de voiture ne m'a paru plus comfortable et le claquement de la portière plus doux à mes oreilles qu'au terme de cette interminable réunion.

Mais une petite voix me chuchote à l'oreille... Psst ! Pascale ! Noël, c'est dans quatre mois...

Bon dieu, déjà !